Le Klaxon #12 [mars 23]
Petit frère de notre « Heure de la Sirène« , le « Klaxon » viens chaque mois avertir sur les avancées de la marchandisation des associations, des investissements à impact social mais aussi sur les contre-feux proposés par les associations.
Newsletter de notre tout récent Observatoire citoyen de la marchandisation des associations et des investissements à impact social (OCMA & IIS), retrouvez les premiers numéros ci dessous.
N’hésitez pas à transmettre vos informations sur le sujet ou à demander votre inscription pour la recevoir auprès de : marianne[arobase]associations-citoyennes.net
Marianne, ne vois-tu rien venir ? Cette feuille vous tiendra régulièrement informés de mes observations, rencontres, actualités autour de la marchandisation et de la financiarisation de l’action associative via les investissements à impact social. Elle deviendra petit à petit la newsletter de l’observatoire de la marchandisation des associations en accueillant vos textes. N’hésitez pas pas à me faire des suggestions, me signaler vos infos et à enrichir cette lettre par vos contributions, textes, témoignages, réactions…
L’Observatoire sort son premier rapport
Le 17 février dernier, nous présentions le premier rapport de l’Observatoire citoyen (OCMA), intitulé « Marchandisation et financiarisation des associations ». Vous pouvez retrouver la conférence de presse en ligne et le rapport à télécharger.
Le rapport en quelques lignes
« Nous avons été frappé par des logiques de marché et il nous fallait les comprendre », la phrase de Claire Bizet du Mouvement associatif des Hauts de France peut résumer l’objectif de ce premier rapport. Un autre objectif était de montrer comment ces logiques traversent tous les secteurs associatifs avec, au final, un effet similaire de dépolitisation et de désamorçage de leurs capacités émancipatrices et subversives.
Ces logiques de marchés nous tentons de les décrire en deux temps dans ce rapport. Une première partie s’attache au processus de marchandisation notamment insufflé par la politique européenne qui en créant un marché unique regarde les associations comme des entreprises. En France, cela se traduit par le recul de la subvention au profit des appels d’offre et appels à projets avec pour conséquences la mise en concurrence des associations, le financement par projet, la transformation en prestataire de service, le fusionnement des associations en grand groupe… La montée de la notion d’entrepreneuriat social qui floute les différences entre associations et entreprises en est un autre effet. Elle revendique l’introduction dans les associations des techniques de gestion du privé lucratif présentées comme plus efficaces.
Moments choisis de la conférence de presse
Comment cette marchandisation et cette financiarisation s’inscrivent dans le champ culturel, de la solidarité internationale ou encore du travail social ? Patricia Coler de l’UFISC (Union fédérale d’intervention des structures culturelles) observe une « invisibilisation du fait associatif » dans le champ professionnel culturel et artistique alors qu’il existe 40 000 associations employeuses. Elle note une « disqualification de ces structures » au travers notamment du rapport Hearn qui, en 2015, mettait en avant la notion d’entrepreneuriat culturel. Ce pendant culturel de l’entrepreneuriat social se présente comme plus performant, plus rentable et « nie la capacité des associations », nie « la dynamique associative qui créée sa propre spécificité économique en articulant questions politiques et économiques, initiative citoyenne et économie vivrière, non-lucrativité et capacité à hybrider un certains nombres de ressources au service de projets qui ont un sens notamment sur la mise en exercice des droits fondamentaux des personnes ».
Céline Méresse du CRID (Centre de Recherche et d’Information pour le Développement) s’interroge sur une « hyper-professionnalisation » des grosses associations qui tend à encourager l’embauche d’ « hyper techniciens » pour répondre aux appels à projet et appels d’offre des bailleurs de fonds. Elle souligne la nécessité d’un regard critique sur ces appels, sur toute la terminologie, désormais intégrée dans les organisations, liée aux techniques de management. Elle regrette le manque d’animateurs politiques qui puissent apporter une analyse systémique de ce que serait un projet de transformation sociale.
Tout comme Maël Pousset du MRJC (Mouvement rural de la jeunesse chrétienne) qui rappelle que les associations embauche désormais des personnes chargées de trouver des fonds et répondre aux appels à projet, Céline Méresse souligne l’importance du temps passé « à gérer des process », à remplir par exemple des « fiches de temps pour justifier le temps passé à calculer les impacts sur les territoires ». « Beaucoup trop de temps est passé à répondre à la contrainte du bailleur », d’autant plus quand les bailleurs « imposent de dévoyer des concepts qui sont pour nous ceux de l’émancipation comme par exemple l’empowerment, l’intersectionnalité ». Ces concepts repris par les bailleurs sont vidés de leur sens politique. « Lorsqu’on a une visée technique à l’endroit de ces concepts, on les vide de ce qui fait leur côté subversif ». « On perd alors notre capacité d’émancipation »..
Soutien à la parentalité marchandisé ?
Le 15 avril 2022, une mission a été confiée par la Direction générale de la cohésion sociale à Anne Raynaud (directrice de l’institut de la parentalité) et Charles Inglès (Caf de la Gironde) pour « définir les compétences socles attendues pour les professionnels et bénévoles » intervenant dans le soutien à la parentalité suscitant la réaction de plusieurs associations nationales qui interviennent depuis longtemps dans ce champ. Un collectif de douze réseaux associatifs (dont l’Acepp, ATD Quart Monde, l’Uniopss, la Fédération des centres sociaux) a rédigé une contribution commune adressée au ministère des Solidarités et à la Direction générale de la cohésion sociale. Il craint « une standardisation des actions proposées aux parents et une possible marchandisation du soutien à la parentalité ». Le texte appuie sur la nécessité d’une diversité de dispositifs et de professionnels. Et s’interroge : « la responsabilité des pouvoirs publics est-elle de définir un socle commun de compétences ou plutôt de veiller à répondre à la pluralité des besoins et des attentes des familles ? ». Les associations mettent en garde : « il faut se garder des illusions technocratiques qui voudraient que l’on puisse harmoniser et standardiser les connaissances et les compétences nécessaires » dans le soutien à la relation humaine entre un parent et son enfant. Cette standardisation, même si elle est officiellement portée dans une volonté de recherche de qualité, « induit mécaniquement un processus d’industrialisation de l’offre qui, paradoxalement, de peut que l’appauvrir », soutien le collectif d’associations qui s’appuie sur les mêmes processus observés dans d’autres champs. En outre, ce processus permet au marché – le secteur du soutien à la parentalité attire de nombreux acteurs du privé lucratif – de mettre « à disposition des produits standardisés prêts à être consommés » qui place le parent en posture de consommateur. Cela « assécherait alors l’implication et les capacités d’auto-organisation des parents » ce qui va totalement à l’encontre du principe même de soutien à la parentalité. « Plutôt que de chercher à substituer un secteur privé lucratif à ce qui existe déjà, ou contribuer à transformer la nature de ce qui est proposé, les politiques publiques ne devraient elles pas envisager d’améliorer la santé du secteur associatif ? »
L’enfant n’est pas une marchandise
Le 8 mars (date symbolique !), quatre salariées du réseau de crèches privées People and baby étaient entendues par la cour de cassation où elles espèrent que justice soit faite, épilogue d’un long combat. En 2006, la crèche associative Giono avait été reprise, tout comme d’autres crèches associatives parisiennes, par l’entreprise privée People and Baby. Créée en 2004, cette dernière compte environ 700 établissements en France ; en 2019 son chiffre d’affaires est de 84,2 millions d’euros. Elle a bien profité de l’ouverture aux crèches privées lucratives du secteur jusqu’alors essentiellement porté par les associations et le secteur public, et de l’octroi d’aides publiques.
Dans l’ancienne crèche Giono, les conditions de travail se dégradent et en 2009, une section syndicale CNT est créée. « La politique managériale de l’entreprise impacte à la fois les projets pédagogiques et la qualité d’accueil des jeunes enfants », souligne la CNT. Les salariées se mobilisent et se mettent en grève. Cette mobilisation n’est pas du goût de l’entreprise qui, en 2010, licencie quatre salariées mobilisées entrainant une série de manifestations, pétitions, occupation de la crèche… Les salariées passent au Prud’hommes en 2017 qui condamne People and baby pour discrimination syndicale et annule les licenciements. En 2018, les indemnités de réparation sont versées mais l’entreprise fait appel et la cour d’appel annule le jugement des prud’hommes et oblige les salariées à reverser leurs indemnités…