Simplification côté pile, mise au pas des associations côté face ! [Tribune]
Le 1er février 2023 – Tribune/communiqué du CAC
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L’engagement de simplifier la vie des associations est le premier point de la feuille de route de Mme Schiappa pour la vie associative. Vieux serpent de mer, puisque le « choc de simplification » figurait déjà dans le « new deal associatif » présenté dans la circulaire du 1er ministre en septembre 2015. Nouvelles relations entre associations et pouvoirs publics qui trouvaient corps dans la suite de l’année 2014 avec l’engagement associatif comme Grande cause nationale et la signature d’une nouvelle charte des engagements réciproques, fruit d’une co-construction entre l’État, les collectivités territoriales et le secteur associatif. Selon une enquête nationale[1], seuls 33 % des responsables bénévoles font de la « simplification administrative » un enjeu, alors que 44 % placent en tête des préoccupations « la reconnaissance du rôle citoyen et de l’utilité sociale de l’association ».
Lorsqu’en 2018 Gabriel Attal publie son plan pour une « ambition nouvelle pour la vie associative », il annonce le développement de « services numériques destinés à faciliter la vie des associations en simplifiant leurs démarches administratives ». Mme Schiappa lance donc à son tour un dispositif de consultation nationale pour simplifier la vie des associations, en vue d’Assises nationales de la simplification !
Cette obsession de la simplification est bien compréhensible tant les politiques publiques accumulent depuis les années 80 la complexification des tâches : prestation de service, réponse à un marché, financiarisation…. Le malaise se développe au début des années 2000 à travers la LOLF (Loi organique relative aux lois de finances) puis la RGPP (Révision générale des politiques publiques) en 2007[2] . Les méthodes du secteur lucratif font dorénavant référence dans la construction d’indicateurs de gestion et de performance, un glissement qui transforme les relations État – Administrations – Associations. Pour les associations cela se traduit par une perte de lien avec les administrations elles-mêmes, les assujettissant à la commande publique, et transformant leur relation aux personnes : d’adhérent on devient usager, puis client. La capacité d’expérimentation propre au secteur est supplantée par une course à l’innovation dite sociale.
Que peut-on attendre de cette consultation…
Apparemment pas grand-chose, si on s’en réfère à la formulation des deux seuls items de l’enquête. « Parmi les avancées des dernières années visant à simplifier les démarches associatives, lesquelles connaissez-vous ? » Et de citer une dizaine d’outils en ligne : Compte Asso, plateforme de dématérialisation des démarches en ligne, « je veux aider » ou encore le nouveau dispositif Guid’asso. En fait, il s’agit juste d’acter de la connaissance de ces plateformes considérées de fait comme des « avancées », sans pouvoir laisser un quelconque point de vue. Petits rappels :
Compte Asso était lié à la promesse du « dites-le nous une fois »[3] (qui ne figure pas dans l’enquête). Nos récentes expériences nous montrent bien que chaque administration redemande en permanence les documents pourtant déposés sur la plateforme. Et concernant les démarches elles-mêmes, les fonctions de saisie, de formulaires, ou de dépôt de pièces, sur des outils fermés, ne relèvent pas vraiment d’une simplification pour les associations (les formulaires sont toujours aussi nombreux et toujours aussi longs), et demandent une certaine technicité. La personne en charge des saisies se retrouve bien seule face au moindre souci technique. Certainement pas un gain de temps pour les associations, mais plus sûrement une économie pour les administrations.
La plateforme « je veux aider » ne s’inscrit pas vraiment dans la notion de simplification. Elle permet à une association (10.000 inscrites sur les 1,3 million) de déposer une mission de bénévolat… La crise sanitaire aurait agi comme un révélateur de ce besoin. Une rapide analyse des offres déposées fait apparaître un large usage par des associations déjà bien encadrées professionnellement. On y trouve outre des missions de bénévolat, des offres d’emploi de direction, ou même la recherche d’un futur président !
Bien que construit avec le secteur associatif, et destiné à l’appui local, Guid’Asso nous en dit long sur la philosophie de l’État pour la vie associative. On retrouve dans la charte[4] tout le discours du Contrat d’Engagement Républicain instaurant un climat de défiance envers les acteurs associatifs : « ne pas associer Guid’Asso à des actions ou activités susceptibles de porter atteinte à l’État français ou lui être préjudiciable », « ne pas utiliser Guid’Asso à des fins politiques, polémiques, contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs »… Les structures prestataires doivent assurer plusieurs jours de rendez-vous par semaine, mobiliser des ressources, favoriser la mise en lien, mutualiser, participer, contribuer, s’impliquer… en s’inscrivant dans un marché concurrentiel de l’accompagnement entièrement placé sous le contrôle de l’État dans un cadre strict et avec des moyens limités.
… quand la réponse est dans la question !
L’impression d’une enquête destinée à justifier au préalable la politique du ministère persiste à la lecture du second item portant sur « les besoins majeurs » des associations. La formulation de la première proposition laisse perplexe quand il est proposé d’alléger le poids de la paperasse administrative. Tout est dit dans le simple emploi du terme de « paperasse » ! On aurait pu se demander si les responsables associatifs estiment qu’il y a trop de contraintes administratives, complexes, mobilisant toujours plus de compétences gestionnaires. Mais cette question n’est pas prévue. Pourtant c’est bien la multiplication des appels à projets et des dossiers à remplir pour des financements incertains qui inscrit l’association dans le tout managérial, ne respectant pas le projet associatif et générant mal être et sentiment d’instrumentalisation. La saisie en ligne sur des services numériques simples et intuitifs (sic) n’est pas une réponse pour les milliers de petites et moyennes associations.
Les processus de managérialisation, d’instrumentalisation et de marchandisation font partie de la même logique, celle du marché et de la concurrence qui pousse les associations à utiliser les outils de gestion du secteur privé et à calquer leur modèle sur celui de l’entreprise. Parce qu’il limite le champ des libertés associatives, et instaure un climat de défiance « a priori », le Contrat d’engagement républicain (CER) participe de cette volonté politique de contraindre l’action des associations à de simples prestations de services répondant à des besoins exprimés par la puissance publique. En même temps qu’elles ne trouvent plus la voie pour emprunter le chemin d’un autre monde possible, solidaire, démocratique, écologique, les associations perdent la voix pour revendiquer un projet émancipateur.
Simplification versus Socle de sérénité
A l’opposé, nous appelons le secteur associatif à faire valoir sans compromis ce qui constitue son ADN, en remettant au centre la rencontre humaine. C’est ce qui ressort des travaux menés par les associations réunies au sein du Collectif des Associations Citoyennes[5] :
- Les associations citoyennes peuvent parvenir à jouer ce rôle important si elles renouent avec la force de leur propre histoire d’une part et si elles savent ne pas perdre de vue leur objet ni les personnes avec lesquelles elles doivent œuvrer.
- L’approfondissement démocratique constitue le fondement du travail associatif. Pour cela il est essentiel qu’elles puissent exercer leur pouvoir critique en toute circonstance, avec la reconnaissance des pouvoirs publics.
- Les logiques de réciprocité, de solidarité, de mise en commun et de démocratie font partie d’un ensemble d’activités qui ne peuvent se réduire à la sphère marchande et se soumettre à des règles et principes qui en contredisent les fondements.
- Évaluer l’utilité sociale consiste à repérer ce qui donne de la valeur sociale. Les associations travaillent à représenter, décrire, donner à voir, exposer, afficher, modéliser, caractériser la richesse de leur apport à la société.
- La finalité politique du projet associatif se situe donc dans l’articulation de propositions sociales, écologiques, culturelles, politiques et économiques.
Pour cela les associations ont besoin de moins de contraintes, et de plus de moyens pour mener le projet associatif. Elles ont besoin de retrouver la confiance du politique, pour s’inscrire dans un véritable projet de société, dans nombre de cas co-construit avec les pouvoirs publics, au local comme au national. Elles ont besoin de pouvoir appuyer sur la touche PAUSE, et se donner le temps… le temps pour apprendre ensemble, le temps pour apprendre de nos histoires, le temps pour construire un projet de société commun.
Gilles Rouby, président du Collectif des Associations Citoyennes
Références
- [1] Source : Baromètre 2022 – Recherche & Solidarités – Opinion des dirigeants associatifs
- [2] Cf. le chapitre « La réforme de l’administration et ses conséquences dans le monde associatif » de JC Boual dans « Quel monde associatif demain » paru aux éditions Erès en 2021
- [3] https://www.numerique.gouv.fr/services/guichet-dites-le-nous-une-fois/
- [4] https://www.associations.gouv.fr/la-charte-d-utilisation-de-guid-asso.html
- [5] Actes de l’université d’été 2022 des associations citoyennes à Lille (cf. les Actes réalisés)