Le Figaro en guerre contre les associations
Dans un article signé Sophie Humann, Le Figaro.fr du 29 juin 2012 s’en prend au financement des associations, considérant qu’il s’agit soit de dépenses inutiles, soit d’une cause des déficits publics. Rien que cela. Toute la rhétorique habituelle du Figaro y passe : jeux de mots (ces très « chères » associations), amalgame (ce qui n’a rien de surprenant), élucubrations réactionnaires inspirée des phobies de Mme Agnès Verdier-Molinié de l’iFRAP (lire : ils frappent). L’auteure appelle cela « décryptage ».
Elle ne décrypte rien et semble même se complaire dans son ignorance. Ou alors se laisserait-elle (volontairement ?) abuser par l’opacité réelle de quelques associations ? Dans le monde associatif, comme ailleurs, les cas particuliers d’abus de confiance ou de biens ne relèvent pas de la généralité.
Dans la stratégie de l’amalgame, l’une des cibles de cet article pernicieux, est l’AFPA. A titre exceptionnel, l’AFPA a reçu de l’Etat 226 millions d’euro de subventions en 2012. Pourquoi ? Quel est le budget de l’AFPA ? Que sait l’auteure de l’AFPA ? Que celle-ci n’était plus subventionnée par l’Etat depuis 2009, obligée de recourir aux méthodes du marché concurrentiel, alors même que la situation de l’emploi se dégradait, et avec elle les possibilités de placement des stagiaires ? Ses comptes, mis à mal par l’application des directives de l’Union européenne, s’étaient dégradés, jusqu’à créer des problèmes de trésorerie. Les raisons de cela restent à préciser, mais il ne fait aucun doute que les décisions gouvernementales des dernières années ont pesé lourd. De cela, le lecteur ne saura rien.
L’AFPA qui emploie plus de 9 000 personnes, a accueilli plus de 170 000 stagiaires en 2011, dont 100 000 demandeurs d’emplois et près de 12 000 travailleurs handicapés. Mais, l’AFPA n’est pas une association entrant dans le cadre strict de la loi de 1901. C’est un service public d’intérêt général « participatif », composé de cinq collèges (Etat, Régions, Confédérations syndicales salariales et patronales, Personnalités qualifiées). Plutôt que de critiquer, par ailleurs fort mal à propos, il serait plus intéressant de suggérer la création d’un statut public pour les activités para-administratives qui garantisse la neutralité, la qualité des services, la continuité, l’égalité d’accès, la coopération entre l’Etat ou les collectivités territoriales et les partenaires sociaux de différentes natures (syndicats, associations).
La Ligue de l’Enseignement est une autre cible de choix. Et pour cause ! Son rapport d’activité 2011 doit donner des boutons au Figaro. Avec 1,6 million d’adhérents, 500 mille bénévoles et près de 30 mille associations locales, ne prétend-elle pas que face à la crise économique, il faut des propositions alternatives ? Que face à la crise démocratique, les corps intermédiaires (dont les associations) sont nécessaires pour faire entendre la voix du peuple et plus encore celle des sans voix, de plus en plus nombreux ? La Ligue de l’Enseignement aggrave son cas en affirmant que « seule la laïcité que nous promouvons peut être garante du pacte républicain ».
S’en prendre de façon indifférenciée au secteur associatif, caractérisé par une grande hétérogénéité, n’est pas pertinent. Il serait plus utile de distinguer les associations qui s’inscrivent clairement dans le champ de l’activité marchande et les autres ; de distinguer selon les tailles, les moyens, les objets, selon qu’elles accomplissent ou non des missions de service public.
Dans un rapport publié en 2007, Viviane Tchernonog (que S. Humann cite abusivement) dénombre 1,1 million d’associations, dont 172 mille sont employeurs. Les associations employeurs avaient un budget moyen de l’ordre de 280 000 euro, les autres un budget moyen inférieur à 12 000 euro. Prises dans leur ensemble, les associations étaient subventionnées à hauteur de 34% en 2008, soit au total quelque 20 milliards d’euro (source : CPCA, cité dans le rapport présenté à l’Assemblée nationale en octobre 2008, par P. Morange, député), contre 64% de financement public en Allemagne et 77% en Belgique (Rapport Morange). Hors niches et évasions fiscales, les subventions attribuées aux entreprises se sont élevées à 65 milliards, dont environ 20 milliards pour l’emploi, sans effet réel constaté. On pourrait aussi discuter des 6 milliards d’euro versés aux groupes automobiles Renault et PSA depuis 2008. Au fait, le contribuable, démagogiquement tant flatté, sait-il que le Figaro perçoit lui aussi des subventions, dans le cadre de l’aide à la presse (13 millions en 2010, sans compter notamment les tarifs postaux préférentiels), alors même qu’il perçoit des recettes publicitaires parmi les plus importantes de la presse écrite nationale ?
Les champs d’activité des associations montrent combien elles sont essentielles à la vie sociale. Elles constituent l’une des bases de la démocratie au quotidien et participent à la réalisation de l’égalité entre tous. 25% interviennent dans le sport, 19% dans la culture et autant dans les loisirs et la vie sociale, 11% dans l’action sociale, 4% dans l’éducation, la formation ou l’insertion. Dans la majorité des cas, leurs activités sont fondées sur la solidarité, la confiance, l’utilité sociale et culturelle. Elles employaient 1,9 million de personnes, correspondant à un peu plus de 1 million d’emplois en équivalent temps plein. (cf. Tchernonog). Autant dire que la participation des collectivités publiques est loin d’être usurpée.
Bien entendu, la subvention n’est pas un droit, et l’association doit démontrer le bien fondé de son projet et rendre des comptes ; personne ne met en doute la nécessité et la légitimité du contrôle de l’usage des fonds publics. Dans le rapport cité (P. Morange, Assemblée nationale), les questions nouvelles ne sont pas esquivées ; il est noté que « L’extension du champ d’intervention des associations ne va pas sans poser le problème de l’articulation de leur action avec celle des pouvoirs publics mais aussi de leur « concurrence » avec le secteur économique à but lucratif, sujets qui seront abordés plus loin dans le rapport. D’aucuns y décèlent le symptôme d’une crise du monde associatif et en appellent à un toilettage de la loi de 1901. Ne faut-il pas au contraire –ajoute le rapporteur, citant H. Noguères ‘Le paysage associatif’ (2007)- y voir le signe d’une « société laissant à l’individu un espace libre significatif, permettant une invention de soi » mais surtout l’effet d’un outil juridique d’une grande souplesse, institué par une loi d’inspiration profondément libérale (au sens politique du terme, mm) dont il faut préserver l’esprit ? »
Elinor Ostrom, prix Nobel de l’économie en 2009, n’a-t-elle pas démontré que, dans la majorité des cas et dans la plupart des pays du monde, la coopération et l’association sont plus efficaces pour la gestion des activités sociales et culturelles et celle des biens communs naturels ou socialement construits, que la gestion étatique centralisée ou privée marchande ?
A quoi donc joue Le Figaro et ses éminents porte flingues ? A accréditer l’idée que les associations doivent se limiter au SAMU social et aux activités caritatives, le reste relevant de l’activité économique marchande. C’est ce que préconisait le MEDEF dans un rapport de 2002 dont on peut retenir quatre objectifs, fort éclairants : surveiller l’ingérence du secteur public dans l’activité économique marchande, contrôler le glissement de l’action sociale vers l’activité économique, faire jouer pleinement la concurrence, distinguer le volet caritatif. Le Figaro porte voix du MEDEF, ce n’est pas un scoop.
A quoi joue le Figaro, sinon à enfoncer le clou que plus d’austérité serait absolument nécessaire, ainsi que le stipulent les canons du FMI et de l’Union européenne ? Les caisses publiques ont été vidées par les politiques suivies depuis dix ans. Ça continue : plus les politiques d’austérité imposée sont mises en œuvre, plus l’austérité s’accroît, plus les budgets publics enregistrent de déficits. Les subventions deviennent alors une cible facile. Ce qui bénéficie encore de la mansuétude du MEDEF, est sérieusement mis à mal. Un exemple. Après les affrontements de la mi-août 2012, entre des CRS et une partie de la population des quartiers nord d’Amiens, on constate que le tissu associatif, à l’image des services publics, est délité : la municipalité a bien augmenté les subventions aux associations de quartiers (+30%), mais celles de l’Etat ont diminué de 40% (Le Maire d’Amiens lors d’une émission sur France 5).
Deux questions (forcément complémentaires) sous-tendent cet article : comment réduire encore le champ de la démocratie au profit du « marché », comment faire payer aux citoyens les moins fortunés et … aux associations le coût de la crise dont le capitalisme débridé et les Etats coalisés sont responsables. Il s’agit d’asséner, d’argumenter n’importe comment pour protéger idéologiquement le capital et le monde de la finance. Sus aux associations, espace de liberté, de construction de lien social, de coopération. Voilà le mot d’ordre relayé par le Figaro.
Marc MANGENOT
Membre du comité de pilotage du Collectif des Associations Citoyennes.