Compte rendu des journées de concertation et position du CAC
Vendredi 16 février 2018 – restitution des 3 groupes de travail
Après chaque étape de la concertation gouvernementale (« pour une politique de vie associative ambitieuse et le développement d’une société de l’engagement »), à laquelle participe le CAC[1], nous avons décidé d’organiser une réunion de restitution ouverte à tous (VOIR ICI), afin d’informer largement sur ce qui s’est passé dans les groupes de travail, hiérarchiser nos demandes et débattre de la conduite à tenir pour la suite de la démarche.
Trois groupes de travail d’une journée entière se sont réunis du 9 au 15 février, avec la participation de Jean-Baptiste Jobard pour le groupe « politique de soutien, d’appui et d’accompagnement des associations », Didier Minot pour le groupe « développement et financement des actions associatives », Thomas Lecolley pour le groupe « bénévolat et société de l’engagement ». La réunion de restitution qui s’est tenue tout de suite après, 16 février a eu pour but de partager l’information, décider ensemble des mesures prioritaires qu’il faut absolument obtenir et réaffirmer la nécessité de continuer à se mobiliser.
Ce compte rendu restitue l’essentiel des échanges et les positions prises par le CAC, de façon non exhaustive.
On trouvera ici sur le site des CR plus complets de chaque groupe de travail et le lien vers la prise de note en ligne.
Principales questions débattues
D’une manière générale, ces 3 journées de travail ont permis des débats approfondis sur de nombreuses questions, dont certaines étaient en attente depuis plusieurs années, dans une ambiance constructive et respectueuse. Contrairement à d’autres, nous nous étions préparés. Le CAC a présenté une vingtaine de propositions, avec des idées chiffrées et étayées, reprenant certaines réflexions menées depuis 2014. Cela nous a permis de convaincre de nombreux réseaux du bien fondé de nos propositions mais également, et c’est tout aussi salutaire, d’acter nos désaccords politiques à certain moment. Les analyses du CAC se répandent, elles sont reprises et infusent dans le monde associatif. Il s’agit là d’un résultat positif.
Sans être exhaustifs, nous restituons ici quelques débats significatifs.
La bataille des idées et le sens des mots. Alors qu’à la première réunion, nous avons longuement discuté de comment valoriser « les compétences bénévoles », nous n’en avons que très peu parlé. Les arguments défendus la dernière fois ont semble-t-il été entendus, et l’assemblée était beaucoup plus vigilante à toute la « novlangue managériale » qui nous envahit. Nous nous sommes également opposés avec le MES (Le Mouvement pour l’Economie Solidaire) à la proposition d’une « semaine de l’engagement » quand le Haut-Commissariat a précisé sa vision de l’engagement, avec notamment un discours du type « il faut que les associations soient fières de ce que les entreprises leur piquent leurs idées ». De même, l’extension du volontariat à tous les âges de la vie présentait un vrai risque de combler les emplois aidés par des services civiques et de remplacer le travail salarié par des volontaires. Nous nous sommes opposés à cette mesure en l’absence d’une réelle évaluation, impliquant notamment des jeunes volontaires.
Défense des libertés associatives. Le CAC était le seul à faire une proposition sur la défense des libertés associatives. Deux propositions ont été adoptées à l’unanimité et devraient être être soutenues publiquement : la création d’une amende civile pour lutter contre les procédures baillons, la mise en place d’un groupe de travail qui étudiera la législation liberticide (questions du « délit de solidarité », de la reconnaissance du caractère non-violent des actions de désobéissance civile, de la dépénalisation de l’appel au boycott, …).
La création d’un Fond pour une Démocratie d’Initiative Citoyenne, proposé par le collectif Pas Sans Nous, a été acceptée à l’unanimité. Cependant, des propositions similaires du CNAJEP (Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d’éducation populaire) et de Monalisa ont également été acceptées, mais sont moins abouties. Il est nécessaire de soutenir la proposition du collectif Pas Sans Nous qui constitue une réelle avancée démocratique.
Un observatoire partagé de la vie associative. Les dernières statistiques complètes permettant de connaître la vie associative date de 2011. Une étude plus succincte de l’INSEE a été réalisée en 2014. On constate des écarts importants entre ces 2 observations (par exemple un écart de 20 milliards d’euros sur les volumes d’activités mesurés). Il est proposé d’entreprendre une démarche participative et partager d’observation, permettant de faire de la connaissance de l’action associative un commun.
Restaurer le FDVA comme ligne de financement structurel de la vie associative. Au sein de ce groupe, le CAC, était également seul du groupe à dénoncer la rupture des financements publics. En effet, depuis 2005, les ressources publiques ont diminué de 5 milliards d’euros. La réduction des contrats aidés a accéléré ce repli en ajoutant près de 1 milliard d’euros de pertes supplémentaires. Aujourd’hui, l’État ne peut pas continuer de se décharger sur les collectivités comme il l’a fait par le passé. Celles-ci n’ont plus les moyens de prendre le relais compte tenu de la réforme fiscale annoncée, d’une nouvelle baisse de 13 milliards d’euros de la dotation aux collectivités et de la suppression de la taxe d’habitation. Il propose une très forte augmentation du FDVA, à hauteur de 1 milliard d’euros, faute de quoi on assistera à la disparition de pans entiers du tissu associatif. Tous partagent le diagnostic et appuient l’introduction de cette question. Cependant, ensuite, les positions divergent. La plupart (notamment le CNAJEP) estiment demander l’augmentation des financements dont les associations ont besoin, oser annoncer des chiffres sans frilosité et agir ensemble. D’autres (FONDA) proposent de faire appel aux financements privés en instaurant des taxes sur les entreprises et en faisant appel à l’accroissement du mécénat. Le Haut-Commissariat à l’Économie sociale et solidaire estime que les 25 millions d’euros versés cette année sont déjà une première réponse et qu’il s’agit de les pérenniser.
Évaluer la situation de l’emploi associatif et définir une politique globale de cet emploi. En effet, on constate depuis plusieurs années une dégradation des conditions d’emploi des salariés associatifs, avec la multiplication des contrats précaires, des emplois de courte durée et d’une surcharge des postes de travail compensant en partie la diminution des crédits et des emplois. La suppression des emplois aidés a été le révélateur d’un état de crise. Compte tenu de cette dégradation de l’emploi associatif, le CAC a demandé qu’on évalue la situation de l’emploi associatif pour dans un second temps définir une politique globale de l’emploi associatif, en y associant les organisations syndicales de salariés.
Il faut pour cela que les financements publics soient suffisants pour permettre aux salariés associatifs de sortir de la précarité et aux associations d’assurer des emplois pérennes et non dérogatoires au Code du travail. Cela suppose une rupture avec une politique qui cherche à couper encore plus dans les services apportés par les associations, et encourage la chalandise actions des segments de marché le plus rentables pour ceux qui peuvent payer cher pour en bénéficier, pendant qu’on en prive tous les autres. La proposition du CAC a été reprise telle quelle et n’a pas été contestée.
Amélioration et révision des modalités de subventionnement. Plusieurs propositions ont été adoptées pour demander aux financeurs publics d’améliorer les modalités de subventionnement en remettant au centre le projet associatif : priorité à des conventions pluriannuelles d’objectifs (CPO), contrôles et comptabilité proportionnés à la réalité de l’action associative, financements sur la base d’un montant déterminé et non en pourcentage des dépenses effectives, assouplissement de la règle de l’antériorité, … Pour prévenir la résurgence des complexités administratives, il est proposé de créer des lieux de dialogue permanents afin de discuter concrètement des difficultés et de créer un observatoire de la simplicité.
Financement des têtes de réseaux. Plusieurs propositions portaient sur le financement des têtes de réseaux, en soulignant qu’elles remplissent des missions d’intérêt public. Celles-ci ont besoin de financements pour leurs actions de prospective, de recherche et développement, d’ingénierie, d’accompagnement juridique, de capitalisation, de recherche et développement, d’animation et de structuration du réseau. Il est proposé de reconnaître ces fonctions de tête de réseau en tant que telles, en distinguant celles qui relèvent de la cotisation des membres et celles qui nécessitent un financement public, et s’adresser ensuite au responsables des 85 programmes du budget de l’État qui versent des subventions, sans se limiter à la DJEPVA (La direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative) qui conclut déjà des CPO (Convention pluriannuelle d’objectifs) avec une quarantaine de têtes de réseaux.
Accompagnement des associations en difficulté. Une fiche présentée par le CAC propose un fonds d’urgence, mais il est également nécessaire de mettre en place un dispositif d’accompagnement quand les déséquilibres sont structurels, afin de restructurer le modèle socio-économique dans le respect du projet associatif. Trop d’associations disparaissent faute d’un tel appui, qui existe pour les entreprises et pour les agriculteurs. La multiplication dramatique des cas d’associations en difficulté est la conséquence directe de la baisse structurelle des financements. Le groupe est d’accord pour estimer que la question est essentielle, et qu’il faut agir.
Mesures fiscales et associations. Plusieurs propositions visaient à clarifier, voire unifier les notions d’intérêt général, d’utilité sociale, d’activité lucrative et de reconnaissance d’utilité publique. La représentante du ministère des finances a rappelé que ces définitions correspondent à des usages différents. Elle reconnaît cependant qu’il existe des interprétations différentes de la notion d’intérêt général selon les départements. En particulier, le terme « significativement », pour qualifier le rapport entre activités lucratives non lucratives, donne lieu à des interprétations divergentes. Elle s’engage à faire un travail pédagogique vis-à-vis de certains services fiscaux départementaux, et invite les associations à faire remonter des exemples anonymés de rescrits fiscaux.
Débat sur la portée et les limites de cette concertation
Les contrats aidés restent une question principale
Cette concertation fait très peu de place aux questions posées par la suppression et des contrats aidés et le remplacement par des Parcours Emploi Compétences. Or, ces derniers sont beaucoup plus restrictifs et laissent de côté des pans entiers de la vie associative. De très nombreuses personnes ne répondent plus aux critères. Y répondraient-elles que les quotas qui ont été fixés ne permettraient pas de les accueillir : l’enveloppe annoncée de 200 000 contrats aidés (contre 459 000 en 2016) se traduit par 136 000 contrats disponibles sur le terrain, une fois préemptés 30 500 assistants de vie scolaire, 22 000 contrats pour l’outre-mer et une réserve de 3 %). De ce fait, de très nombreuses personnes dont le contrat arrive à échéance se retrouvent au chômage ou au RSA. Pour ceux qui peuvent malgré tout souscrire dans un Parcours Emploi Compétences (PEC), le taux de prise en charge varie de 35 % (à Marseille) à 50 % maximum et la durée des contrats n’est plus que de 20 heures contre parfois auparavant 35 heures. La lourdeur du dispositif de suivi est telle que la gestion consomme une partie importante de l’aide accordée. Cette complexité exclut de fait les petites et moyennes associations qui ne disposent pas d’un service de gestion spécialisé.
La mise en application du vaste plan social que nous avons dénoncé se poursuit en 2018. Déjà, en novembre dernier, l’INSEE a dénombré 45 000 nouveaux chômeurs principalement du fait de la suppression des contrats aidés depuis l’été 2017.
Les différentes concertations et leur fonction dans la politique gouvernementale
Jean-Claude Boual. La concertation engagée avec les associations fait partie d’une stratégie beaucoup plus large du gouvernement. Celui-ci a lancé une multitude de concertations sur la loi travail, l’ESS, la santé, la grande pauvreté, la bioéthique, les transports, la SNCF, la politique de la ville, etc.. Les dernières consultations se passent sur Internet avec des questionnaires fermés. Il existe aussi des assises de la mobilité, avec comme conclusion qu’il faut faire payer l’usager. Des conférences de consensus sont organisées sur le logement. Le gouvernement a lancé « CAP 22 », qui propose une refonte de l’action publique. Parallèlement, le gouvernement annonce avec French Impact une politique de renforcement des entreprises innovantes, avec le rêve de créer des entreprises d’intérêt général[3], avec le grand dessein de moraliser le capitalisme. L’objectif est de donner aux entreprises et au capitalisme la mission de définir l’intérêt général. Aux termes d’un nouveau processus de démantèlement, ce sont les multinationales qui géreront directement le pays, qui définiront les normes et les appliqueront à leur manière. C’est pourquoi il est essentiel de faire converger les mobilisations. Toutes ces concertations adoptent une méthode commune, fort bien résumée par Médiapart[4]. Il s’agit « d’écouter sans entendre », de faire durer les discussions, d’endormir les mobilisations. Les partenaires sociaux sont satisfaits d’avoir été écoutés. Le gouvernement lâche sur des éléments marginaux, mais la feuille de route n’est pas remise en cause.
Quelles sont nos demandes prioritaires ?
Dans les débats sur l’avenir des associations, nous constatons un mouvement de convergence avec de nombreuses composantes du monde associatif. Il est essentiel de renforcer ses convergences et de nouer des alliances avec les réseaux proches afin que les questions soient posées et que le gouvernement soit davantage tenu de répondre. Mais quels sont nos priorités ?
Nous nous sommes posés la question : « Parmi les dizaines de propositions émises par les différentes organisations associatives, quelles sont celles qui constituent le noyau dur que nous devons défendre absolument ? » Chacun des participants a été invité à s’exprimer.
Cela conduit à dégager 4 propositions « structurelles », qui tracent les contours d’une politique associative nécessaire pour donner à l’initiative citoyenne les moyens d’agir et pour répondre à des besoins sociaux, écologiques, culturels, territoriaux de moins en moins couverts aujourd’hui, et 3 actions immédiates. Cela n’empêche pas bien entendu de faire avancer les autres propositions avec lesquels nous sommes d’accord.
4 propositions structurelles
– Financement pérenne et stable des associations par une refonte du FDVA, à hauteur de 1 milliard d’euros par an, avec une gestion partagée et déconcentrée, une part réservée aux petites et moyennes associations, etc. en rupture avec la dégradation structurelle des financements publics aux associations (Voir la fiche).
– Une politique globale de l’emploi associatif permettant aux associations de répondre à des besoins sociaux, culturels, territoriaux largement insatisfaits avec des emplois pérennes et non dérogatoires au Code du travail. Cela suppose de rompre avec une politique qui cherche à couper encore plus dans les services publics associatifs liés au bien vivre et aux droits humains, tout en s’emparant des segments de marché de ceux et celles qui peuvent payer cher pour en bénéficier, pendant qu’on en prive tous les autres. (Voir fiche)
– Des modalités de financement mettant au cœur le projet associatif et son financement dans la durée : subventions de fonctionnement, CPO, engagement fixe et non en % de la dépense, proportionnalité des contrôles et de la comptabilité à la réalité associative, simplification concertée, en rupture avec la réduction des actions associatives à des prestations (Voir la fiche).
– Une sécurisation des libertés associatives, en prenant les mesures législatives et réglementaires nécessaires à partir d’un inventaire des atteintes aux libertés associatives, avec en particulier la création d’une amende civile pour lutter contre les procédures bâillons. (Voir fiche)
3 actions immédiates
A côté de ces mesures structurelles, 3 actions immédiates sont nécessaires pour répondre à une situation de crise
– Poursuivre la mobilisation pour dénoncer la situation créée par la suppression de très nombreux contrats aidés et par les conditions de mise en place des Parcours Emplois Compétences : mise au chômage de 100 000 nouvelles personnes en 2018, nouveaux contrats en peau de chagrin, dérive bureaucratique, exclusion des petites et moyennes associations. (En liens avec cette fiche).
– Demande de la mise en place d’un dispositif d’appui aux associations en difficulté : fonds d’urgence, aide à la restructuration (Voir la fiche).
– Création du FDIC (fonds pour une démocratie d’initiative citoyenne) dans les quartiers : soutien à la contre-expertise citoyenne, défense des droits, création d’espaces participatifs… Certains souhaitent que le FDIC ne se limite pas aux quartiers « politique de la ville », mais que les territoires urbains et ruraux fragiles soient également être éligibles (Voir la fiche ici).
Suite de la mobilisation
Plusieurs territoires (Nantes, Hauts de France, Paris Xe, Creuse, Saint-Denis) ont constitué des groupes ou des collectifs locaux et organisent des débats sur l’avenir des associations, des temps de rencontres, et parfois comme à Lille des États généraux de la vie associative. Un réseau de correspondants locaux et en cours de constitution pour voir comment agir au cours des prochaines semaines. Vous pouvez rejoindre ce groupe en envoyant un message à isabelle@associations-citoyennes.net
Un petit groupe s’est constitué par internet sur la question des contrats aidés et des PEC, auquel tous ceux qui le souhaitent peuvent se joindre. L’objectif est de produire une analyse actualisée de la situation et d’interroger les correspondants locaux pour connaître la situation sur le terrain et rassembler les différents arrêtés préfectoraux qui commencent à sortir. Vous pouvez contacter didier.minot@free.fr
[1] Sans se méprendre sur l’objectif de cette « concertation » (voir plus loin) si, le Collectif des Associations Citoyennes a décidé d’y participer pour porter une parole différente, soulever les questions non posées comme celles du financement des associations ou de l’emploi associatif et créer des convergences avec les réseaux participants.
[2] Toutes les infos, dates et documents sont accessibles ICI
[3] Une mission a été confiée à Nicole Notat et Jean Dominique Sénard, PDG de Michelin
[4] Médiapart 14 février. « La méthode Macron : écouter mais ne pas entendre » Voir ici la référence de l’article (réservé aux abonnés)